Le 50-50 d'Hein Vanhaezebrouck: "Si on a le ballon, c'est nous qui décidons"
L'homme qui a emmené l'éternel loser gantois sur le toit de la Belgique inaugure cette nouvelle rubrique, créée pour prendre le temps d'installer le terrain, le jeu et la tactique au cœur d'entretiens découpés en cinquante questions. Rencontre avec Hein Vanhaezebrouck, à quelques heures de l'entrée en lice des Buffalos en Champions League.
- Publié le 14-09-2015 à 12h43
- Mis à jour le 10-07-2016 à 11h52
La pluie battante qui s'abat violemment sur le sol gantois rend encore plus vertes les impeccables pelouses du centre d'entraînement du champion de Belgique. Pendant que les joueurs enfilent un imperméable pour avaler les bornes sous la pluie glaciale, Hein Vanhaezebrouck préfère l'eau bouillante où il trempe son sachet de thé entre deux réponses qui donnent à cet entretien des airs de cours magistral de football.
Jamais avare en paroles quand il s'agit de mettre des mots sur le ballon rond, l'homme qui a emmené l'éternel loser gantois sur le toit de la Belgique inaugure cette nouvelle rubrique, créée pour prendre le temps d'installer le terrain, le jeu et la tactique au cœur d'entretiens découpés en cinquante questions. Les mots pleuvent autant que le ciel pour raconter un football fait d'obsession structurelle, de quête de l'espace et de défense à trois.
1 | Jouer à trois derrière, c’est un système qui a toujours été évident pour vous ?
Non, parce que quand je jouais moi-même, on évoluait avec deux hommes en marquage et un libéro, voire trois marqueurs si les adversaires jouaient avec trois attaquants. On se retrouvait très vite à cinq derrière si les flancs adverses venaient plus haut.
Une fois devenu entraîneur, j’ai commencé dans un système en 4-3-3 avec des latéraux offensifs. Parce que jouer offensivement, c’est dans ma manière de voir le foot. Ensuite, en cherchant des solutions avec les joueurs que j’avais à Courtrai, j’ai commencé à jouer en 3-4-3 avec trois défenseurs en zone, et ça marchait bien puisqu’on a été champion en D2.
2 | Pourquoi avoir opté pour ce système en particulier ?
L’idée, c’était de trouver des façons d’être le mieux placé sur le terrain, de créer des situations très difficiles pour l’adversaire et de profiter un maximum des possibilités qu’il y avait sans être trop dépendant des qualités individuelles. Tu peux parfois travailler avec une équipe qui a tellement de qualités – des Messi, des Neymar, des Suarez – que le système devient secondaire. Sans ce genre de joueur, on devait trouver autre chose pour ne pas être trop dépendant des individualités. En D2, on n’avait peut-être pas les meilleurs joueurs de la série mais on a fini champion avec dix points d’avance.
C'est avec la même idée que je suis revenu à Courtrai : travailler sur un système de jeu très clair pour les joueurs, avec lequel tu peux battre les grands même s’ils ont plus de qualités individuelles. Je ne suis pas le seul à le faire, il y a d’autres entraîneurs qui prouvent aussi que ce n’est pas toujours la qualité individuelle qui décide des matches.
3 | Cette organisation très structurée, elle met beaucoup de temps à être assimilée par un nouveau ?
Tout dépend de l’individu. Certains ont compris comment ça marche après un entraînement, d’autres ont besoin de beaucoup plus de temps. Mais normalement, tout est prévu. Même les exercices à l’entraînement se font toujours en fonction du match. Donc, ça aide même les joueurs qui ont besoin de plus de temps pour comprendre à s’intégrer très vite dans le système.
4 | Vous accordez beaucoup d’importance à l’adversaire quand vous préparez un match ?
Pas tellement. Si je regarde l’adversaire, c’est surtout pour trouver nos possibilités de les mettre en difficulté : où sont les espaces, quel joueur est plus faible… Mais je ne m’adapte jamais à un adversaire. Je n’ai jamais fait jouer un joueur en marquage individuel, même à Courtrai. On a toujours essayé de jouer notre jeu, de développer un jeu de possession de balle.
5 | L’an dernier, justement, vous avez eu la possession à presque tous les matches. C’est important pour vous d’avoir le ballon ?
Une de mes pensées à ce niveau-là, c’est que tant qu’on a la balle, ils ne peuvent pas marquer.
6 | Mais si vous la perdez…
Naturellement, des gens vous répondront que quand vous perdez la balle, il y a énormément d’espace pour jouer le contre. C’est vrai, mais même en jouant comme ça on ne prend pas tellement de buts en contre. Tu peux te préparer à une perte de balle. On est toujours en place.
Si nous avons la balle, c’est nous qui décidons. Et si on perd la balle, c’est de notre faute. Si tu laisses le ballon à l’adversaire, c’est possible qu’il ne trouve pas de solution. Dans certains matches c’est bien de le faire, parce que certaines équipes n’ont pas la qualité pour faire le jeu donc ils feront des erreurs dont tu peux profiter avec plus d’espace. Mais s’ils ont un joueur qui a des qualités individuelles, il peut vous causer des problèmes si vous lui laissez la balle. Donc on préfère avoir le ballon.
7 | En Ligue des Champions, vous ferez pareil ?
Je ne sais pas. Vous pouvez avoir des propos, mais parfois on est contraint de changer certaines choses à cause de la force de l’adversaire. Si tu joues contre Barcelone, je suis convaincu que tu n’auras pas la possession de balle, même en essayant, parce qu’ils ont tellement de qualités… Maintenant, on va jouer contre des équipes qui ont probablement plus de qualités et qui veulent aussi avoir la balle. Donc on verra, mais moi je ne veux pas tout changer, ce ne serait pas une bonne idée.
8 | Parce que les joueurs perdraient leurs repères ?
Notre jeu nous a rapporté le titre l’an dernier, contre de bonnes équipes aussi. On va être contraint d’évoluer dans une autre situation par moments. Pas tout le match, j’en suis convaincu, mais il y aura des moments où on sera bousculé et où on devra reculer. Ça nous est arrivé la saison passée dans certains matches, et on a bien su gérer cette situation, on a fait parler nos qualités de contre avec des joueurs rapides comme Raman, Milicevic, Simon ou même Depoître… On peut aussi jouer comme ça, mais on ne mettra pas deux murs devant nos seize mètres dès la première minute pour attendre l’adversaire.
9 | En Belgique, beaucoup d’équipes se basent plutôt sur leur mise en place et une grande liberté en possession de balle pour des « joueurs de talent ». Tandis que chez vous, les automatismes offensifs semblent aussi très travaillés…
Ostende, par exemple, est une équipe qui joue beaucoup plus bas que nous. Si on jouait plus bas, je ne donnerais pas trop de consignes à nos joueurs offensifs non plus, parce qu’il y a tellement d’espaces qu’ils vont trouver la solution.
C’est beaucoup plus difficile de jouer dans la moitié de terrain adverse, plus près de leur but avec dix hommes devant… Là il faut travailler certaines choses, parce qu’individuellement c’est difficile de faire la différence. Donc la comparaison avec Ostende sur la qualité de jeu, on ne peut pas la faire. Ostende joue bien, mais ça joue l’espace. Ils ont joué contre Zulte Waregem qui a joué très défensif et qui leur a dit : "Maintenant, montrez-nous ce que vous allez faire dans notre moitié de terrain", et ça n’a pas marché.
C’était peut-être leur premier adversaire du genre parce que Saint-Trond ose faire le jeu par moments donc c’était un peu un match d’aller-retours. Malines voulait faire le jeu et ils ont été pris, Anderlecht aussi a été pris dans le dos…
Cette année, on a joué contre des équipes plus défensives, et c’était très difficile, parce qu’il n’y a pas tellement d’espaces. Il faut trouver les ouvertures, ce qu’on fait, mais il manque toujours la dernière passe, la bonne position devant le but ou la finition.
10 | Vous trouvez que les équipes de Pro League manquent d'audace ?
Malheureusement, en ce début de saison, je constate qu’il y a quand même beaucoup d’équipes qui jouent un jeu assez défensif par rapport à la saison dernière. Ma réflexion est peut-être basée sur nos propres matches, parce que toutes les équipes qui ont joué contre nous depuis le début de saison – à part Anderlecht – ont joué très défensif, même à domicile.
11 | Ce sont des équipes qui jouent contre le champion de Belgique, ça en incite beaucoup à fermer derrière non ?
J'ai aussi vu beaucoup d’autres matches où les équipes jouaient très défensif, alors que la saison passée je trouvais qu’on osait plus : il y avait Mouscron, Westerlo au début… Et maintenant j’ai l’impression que la concurrence est tellement grande que tout le monde veut assurer le coup et mettre une organisation en place pour prendre quelques points, avant peut-être d’ouvrir plus les choses.
12 | Est-ce que physiquement, votre système implique un travail supplémentaire ?
Je ne sais pas ce que les autres font, mais nous on travaille beaucoup physiquement. On dépense beaucoup plus d’énergie dans le pressing que dans la possession. Enfin, ça dépend comment tu joues la possession, parce que si tu joues une possession où tout le monde court n’importe où, ils courront beaucoup. Mais si tu pars d’une situation claire, avec une organisation claire en possession et des positions bien occupées, les courses sont moins longues. Mais ça n’empêche pas qu’à Gand, on s’entraîne sur une base physique qui est probablement l’une des plus hautes en Belgique, si pas la plus haute.
13 | Pour pouvoir être présent au pressing pendant tout le match ?
Je dis toujours à mes joueurs que l’énergie qu’ils ont, ils doivent la mettre dans la récupération du ballon. Une fois qu’on a le ballon, ça coûte beaucoup moins d’énergie. Donc si on a beaucoup de possession de balle, on peut parfaitement faire un pressing haut durant tout le match sans aucun problème. C’est beaucoup plus difficile si tu ne touches pas la balle. Si tu dois jouer contre Barcelone et que tu veux faire un pressing haut sans jamais toucher le ballon, tu seras mort après 30 minutes en première mi-temps et après un quart d’heure en deuxième.
14 | Est-ce qu’il y a un poste-clé dans votre système, plus important que les autres ?
Non, pas vraiment. Je trouve que chaque poste est très important… Mais c’est sûr que le poste de gardien reste un poste individuel, dans n’importe quel système.
Je n’ai jamais copié un entraîneur ou regardé le système d’un autre, j’ai ma propre façon de travailler et de mettre une équipe en place, mais je retiens souvent des paroles de grands entraîneurs. Sollied, de temps en temps, disait des choses qui me faisaient réfléchir par exemple. Et j’ai retenu qu’Aimé Antheunis disait toujours : "Si tu as un bon gardien et un attaquant qui marque des buts, ça fera une bonne saison. Tu ne seras peut-être pas champion, mais tu n’auras jamais de problèmes." Il parle de deux joueurs hein, sur onze ! Parce qu’autour, tu mets neuf bosseurs qui vont travailler, ton gardien va sauver des ballons et devant tu auras un gars qui marque à tous les matches ou tous les deux matches…
15 | Ça peut paraître simpliste comme raisonnement…
Ça a l’air simple, mais c’est quelque chose que tout le monde devrait avoir en tête : il faut avoir un bon gardien. Si tu n’as pas un bon gardien, tu risques de rater l’objectif que tu vises. Quand tu regardes tous ceux qui gagnent des prix, c’est avec un bon gardien et un gars devant qui sait faire la différence. Ce sont deux places qui sont peut-être plus individuelles, mais pour le reste chaque place est aussi importante.
16 | Est-ce qu’il y a des entraîneurs dont vous regardez le travail ?
Je ne regarde jamais un entraîneur pour voir comment il travaille avec son équipe, ou bien quel système il joue… À part quand je dois jouer contre lui, là j’analyserai minutieusement pour trouver des possibilités.
Je regarde des gars comme Felice Mazzù, Yannick Ferrera, même Stijn Vreven… Des gars qui viennent et qui font du bon travail, chez qui on retrouve une organisation, un système de jeu… parce que comme eux, je suis venu des divisons inférieures, j’ai travaillé pour monter.
17 | Vous citez seulement des entraîneurs belges.
J’ai toujours porté le message qui dit que les entraîneurs belges sont bons, qu’on n’a pas besoin d’aller chercher des Espagnols, des Écossais ou des Hollandais parce qu’il y a assez de bons entraîneurs ici. À ce moment-là, on disait que je prêchais pour ma chapelle mais regarde maintenant, on a pas mal d’entraîneurs belges.
18 | La Belgique ne fait pas assez confiance à ses jeunes entraîneurs ?
J’ai toujours soutenu les entraîneurs belges, et c’est peut-être pour ça que je ne regarde pas beaucoup les Guardiola, les Mourinho… mais plutôt ceux qui me suivent. Maintenant, je fais partie des meilleurs entraîneurs de Belgique avec Peter Maes, Francky Dury, Michel Preud’homme… Mais derrière il y en a d’autres qui arrivent, et je suis très content de voir ça. Je trouve que Felice a fait un travail vraiment respectable et énorme à Charleroi, je trouve que le petit Ferrera travaille très bien, Yves aussi qui m’a succédé à Courtrai et qui poursuit sur sa lancée à Ostende… Il y a d’autres très bons entraîneurs en Belgique.
19 | Mais vous ne lisez pas des interviews d’autres entraîneurs par exemple ?
Non… Enfin, j’ai reçu le livre de Guardiola d’un ami. Je ne lis pas beaucoup de livres, parce que je n’ai pas beaucoup de temps mais en congé, j’ai commencé. J’ai lu vingt chapitres sur à peu près 200. Je n’ai pas fini le livre, mais au début j’ai lu que pour lui ce qui était très important à Munich c’était la récupération par la nutrition. C’était l’une des clés à Barcelone parce qu’ils jouaient tous les trois jours, il a vraiment insisté là-dessus.
Ça, ça m’a quand même fait changer quelque chose ici. Amener un diététicien spécialisé, et changer la manière de manger. À côté de ça, j’ai lu beaucoup de choses qui ne m’ont pas semblé très intéressantes pour mon cas.
20 | Le fait de jouer tous les trois jours cette saison, ça va changer votre façon de travailler au quotidien ?
On travaillait déjà d'une façon différente quand on avait deux matches par semaine les saisons précédentes. La seule chose qui change, c’est que dès la reprise après la trêve internationale jusqu’en décembre, on va continuellement jouer deux matches par semaine.
J’ai connu ça à Courtrai aussi. Quand on jouait les Playoffs 1 et la Coupe de Belgique, on a joué dix matches en trente jours. Le fait est que là, il faut surtout faire attention aux joueurs qui ne jouent pas. Parce que si les autres ont joué trois matches en une semaine, ceux qui n’ont pas joué doivent aussi avoir une charge suffisante à l’entraînement pour rester dans le rythme. À Courtrai, j’avais mis en place une rotation en changeant cinq ou six joueurs, parfois sept. Je pense que c’est quelque chose qu’on fera plus cette saison que si on n’avait pas dû jouer autant. Je vais employer mon noyau beaucoup plus, ce sera la grande différence je pense.
21 | Avoir été défenseur central dans votre carrière, ça vous a aidé pour devenir entraîneur ?
Je suis persuadé que ça m’a aidé. Parce que déjà en étant jeune, tu es responsable de l’organisation de ton équipe. J’apprenais aussi beaucoup de choses en regardant jouer les adultes. Le libéro de l’équipe de Laauwe me donnait des conseils, tout comme mon père qui était ancien footballeur et ancien entraîneur. Dès l’âge de six ans, j’étais sur le banc en D3 avec les entraîneurs de l’équipe première. J’écoutais, je regardais et j’apprenais beaucoup de choses.
22 | Il y a des positions qui "prédestinent" au coaching ?
Je suis assez convaincu que les gardiens, les défenseurs centraux, peut-être les milieux défensifs deviennent plus souvent entraîneurs que les attaquants de pointe ou les ailiers. Je pense qu’on n’a jamais listé les entraîneurs d’Europe en regardant à quelle position ils jouaient avant de coacher. Je suis presque persuadé que l’axe central composerait le plus grand pourcentage des entraîneurs. Je peux me tromper hein, mais c’est une idée que j’ai.
23 | La taille des joueurs, c’est important pour vous ?
La taille des joueurs, ce n’est pas seulement important pour moi, ça l’est pour tout le monde. Si tu regardes le football de haut niveau, c’est fini les défenseurs d’un mètre 75, ça n’existe plus. Toutes les grandes équipes ont de la taille, à part peut-être Barcelone qui est l’exception sur tout.
L’an dernier, je suis allé voir le match d’Anderlecht contre Dortmund, j’étais dans la tribune d’honneur et les joueurs sortaient juste devant moi. J’étais impressionné. Anderlecht était là (il montre une hauteur), Dortmund était là (il montre une quinzaine de centimètres plus haut). Je me suis dit : "Incroyable !" Et ce n’est même pas encore la plus grande équipe en Allemagne. Ca démontre aussi que tu peux avoir des qualités techniques, de l’intelligence tactique, des qualités athlétiques fantastiques, et quand même être grand en plus. Si tu as le choix entre toutes ces qualités dans un petit gabarit, ou les mêmes dans un grand gabarit, on choisit toujours le grand.
24 | À part l'arrière central, il y a des postes-clé pour les joueurs de grande taille ?
Chez nous on n’est pas tellement grand, on a pas mal de petits joueurs mais à certains postes… Le gardien, c’est difficile s’il fait un mètre 80. Un gars comme Ryan, c’est une exception comme il y en a toujours, mais si tu prends les gardiens de tous les grands clubs, 95% feront plus qu’un mètre 85, et beaucoup seront même au-dessus d’un mètre 90.
C’est là que je trouve que ça ne sert à rien de mettre autant d’énergie dans la formation d’un gardien. Tu commences à huit ans, tu travailles pendant dix ans et à sa majorité, tu remarques qu’il ne grandit pas donc tu fais un test et tu apprends qu’il fera un mètre 70. Alors, pourquoi avoir mis autant d’énergie dans un joueur qui ne pourra pas arriver au bout ?
25 | Vous avez déjà plaidé pour des prélèvements osseux chez les jeunes afin de déterminer la taille future des joueurs. C'est notamment pour cette raison ?
Je connais l’histoire de Brecht Dejaegere, qui a travaillé dans le but à Bruges jusqu’à 14-15 ans. C’était un bon gardien, avec un bon jeu au pied, mais à ce moment-là ils lui ont dit qu’il était trop petit et que c’était fini. Heureusement pour lui, un gars à Courtrai a vu qu’il avait de bons pieds et qu’il pourrait le faire jouer dans le jeu. En quelques années, il est devenu joueur pro. Mais si on avait su dès l’âge de huit ans qu’il ferait seulement un mètre 65 ou 70, on aurait tout de suite pu dire à ses parents qu’il ne jouerait jamais comme professionnel dans les buts et qu’il pourrait plutôt évoluer dans le jeu.
26 | C'est difficile à entendre pour un enfant qui rêve d'être gardien, non ?
Je sais qu’il y a aussi une partie psychologique et que dire ça à un gamin, ça peut être un coup difficile. Mais là, il faut l’accompagner pour l’aider à passer ce cap. Je pense que c’est encore plus dur à encaisser si tu t’entraînes dix ans avant d’apprendre que ça n’ira pas parce que tu es trop petit et que si un centre arrive, malgré tes qualités techniques, tu ne sauras jamais décoller au-dessus des attaquants.
27 | On ne se rend pas compte à quel point Depoître est bien plus qu’un target-man ?
Il bouge énormément, et il va assez vite. Il ne faut pas sous-estimer sa vitesse. Il commence à s’améliorer dans le rectangle au niveau de ses lignes de course, de son timing…
28 | C’est quelque chose que vous travaillez en individuel, avec un entraîneur des attaquants ?
Il n’y a pas d’entraîneur spécifique, mais on est quatre ou cinq dans le staff donc on travaille avec lui, on en parle individuellement, on entraîne ça avec le groupe aussi : la façon de courir, le timing… Et je dois dire qu’il commence à saisir les choses qu’on lui dit, et ça se voit en match. J’attends qu’il marque plus de buts cette année-ci que la précédente, et je pense même que la saison prochaine il marquera encore plus de buts que cette saison-ci. Il va progresser.
Au début, c’était un peu difficile pour lui d’accepter que je sois toujours sur son dos. Quand quelque chose ne marchait pas, je lui faisais la remarque et c’était toujours "oui mais", "oui mais". C’était difficile pour lui parce qu’il voulait tellement… Mais maintenant, il commence à assimiler les choses et il est en train de progresser là-dedans.
29 | À Courtrai, vous avez joué avec Santini et Coulibaly ensemble. C’est la preuve que tous les attaquants peuvent être complémentaires ?
Tout le monde peut jouer avec tout le monde, c’est une question de travail. Il faut y mettre de l’énergie en leur expliquant ce qu’on attend d’eux, faire en sorte qu’ils jouent en fonction l’un de l’autre, qu’ils ne fassent pas la même chose. Ils ne doivent pas être des concurrents dans leur manière de bouger parce que s’ils plongent tous les deux dans la même zone, ils entrent en concurrence. Ils doivent devenir complémentaires. C’est parfaitement possible parce qu’avec Santini et Coulibaly soutenus par De Smet ou Raman, ça marchait très bien.
30 | Pour la progression et le recrutement des joueurs, vous utilisez beaucoup les statistiques ?
On regarde assez peu les statistiques, mais on a un système de scouting qui nous permet de tout savoir à propos d’un joueur. Pour certaines positions, c’est important. Un joueur offensif, tu regardes le nombre de buts qu’il marque, le nombre d’assists qu’il donne… Ce sont des chiffres essentiels parce que si tu prends un tout bon joueur mais que tu remarques qu’il ne marque pas et qu’il ne donne presque pas d’assists dans ses clubs précédents, ce n’est pas l’homme à prendre. On attend des joueurs qui évoluent dans la partie offensive qu’ils mettent des buts, qu’ils en donnent ou, idéalement, qu’ils fassent les deux.
31 | Il y a d'autres chiffres que vous utilisez ?
La VO2 max d’un joueur, des tests de saut, d’explosivité… Là aussi, on a refusé des joueurs sur cette base. On a eu la possibilité de prendre des joueurs titulaires dans d’autres clubs belges avec un rôle important, mais on a vu que les tests n’étaient pas suffisants donc on a dit non.
32 | Vous leur faites faire des tests avant la signature ?
Oui, on fait tous les tests nous-mêmes. Si un joueur ne fait pas le test ici, même si il amène des résultats de tests avec lui, il ne vient pas. On est quand même un grand club et si quelqu’un veut venir jouer ici, il doit faire les tests chez nous avant la signature du contrat. On doit parfois le faire après, mais alors on insère une clause dans le contrat qui nous laisse le droit de juger que le test physique n’est pas acceptable.
33 | Quand on a des joueurs comme Simon ou Raman…
Il y a une différence entre Simon et Raman. Simon est vraiment un joueur de un-contre-un tandis que Raman a besoin de recevoir le ballon dans l’espace pour faire la différence avec sa vitesse ou avec un simple crochet. Benito ne va pas dribbler deux ou trois joueurs comme Simon, c’est quand même un autre type de joueur.
34 | Mais l'objectif, dans les deux cas, c'est de créer des situations où ils se retrouvent en un-contre-un ?
Oui, ou bien de profiter de leurs qualités pour créer des espaces pour d’autres joueurs. Parce que maintenant, les adversaires mettent une double, voire une triple couverture sur Simon. Ils peuvent le faire, ce sera difficile pour lui mais ça ouvrira des espaces pour d’autres joueurs. Et là, on doit encore progresser parce qu’on ne profite pas assez de ces situations, donc on est en train de travailler dur sur ce point-là. Les espaces sont là, ils existent, mais on doit les trouver sur le terrain et bien exécuter nos mouvements.
35 | Quand on regarde Gand, on reconnaît la marque de l’équipe, son identité. C’est important pour vous ?
Ce n’est pas important pour moi qu’on reconnaisse mes idées. Ce qui m’importe, c’est que de cette manière-là, on sait prendre des points et même être champion. Si je voyais que ça ne marchait pas, comme c’était parfois le cas l’année passée, j’ai parfois essayé un 4-3-3 par exemple. Lors du match contre Malines, ça ne marchait pas donc j’ai mis deux grands devant et on a fait autre chose. Il faut aussi être réaliste.
36 | Ces alternatives justement, elles sont préparées, elles sont dans la tête des joueurs ?
Bien sûr, il faut les préparer. Si on ne travaille pas là-dessus, ce n’est pas évident pour les joueurs de rentrer directement dans le match et de changer tout.
37 | Le fait que beaucoup de postes soient en concurrence, ça augmente encore l’importance de la présence de ces automatismes dans la tête de tous les joueurs ?
Je constate que notre manière de travailler permet à tous les joueurs qui travaillent à un poste d’être mis dans un groupe ensemble, remplaçant et titulaire. À l’entraînement, ils font la même chose au même poste dans le travail des automatismes. Ça leur permet de reconnaître les situations, et ça rend les choses assez simples pour s’intégrer à l’équipe si le remplaçant reçoit sa chance de prendre la place du titulaire.
38 | Les entraînements et les vidéos permettent que ces automatismes deviennent naturels ?
On doit encore beaucoup s’améliorer là-dedans, mais c’est vrai que c’est important. Je remarque quand même que les jeunes entraîneurs sont de plus en plus à la recherche de mettre des choses en place. Ils travaillent de plus en plus avec des analyses, des images…
39 | Mentalement, les enchaînements de rencontre de championnat avec celles de Ligue des Champions, vous savez déjà comment vous allez les gérer ?
C’est nouveau, donc je ne sais pas comment les joueurs vont gérer ça. Nous on va voir, attendre, regarder ce qui va se passer… Pas seulement pour le match après la Coupe d’Europe, mais aussi le match avant. Heureusement, ce seront des affiches assez intéressantes en championnat.
40 | Ça aurait été plus difficile si au lieu du Standard ou de Bruges, ça avait été Westerlo, sans vouloir faire injure à Westerlo ?
Avec tout le respect qu’on leur doit, si on avait dû jouer des matches contre de petites équipes, le risque d’avoir des joueurs moins concentrés sur ce match aurait été présent. Mais le fait qu’on va faire tourner le noyau donnera une chance de jouer à ceux qui n’ont pas disputé le match de Ligue des Champions, et ceux-là peuvent peut-être convaincre l’entraîneur de les mettre la fois suivante dans le match européen. C’est de cette manière qu’on va essayer de travailler, en tentant d’employer plus de joueurs pour faire jouer la concurrence.
41 | Après le tirage de la Ligue des Champions, vous avez dit que vous auriez préféré jouer contre une équipe anglaise. Pour le prestige ou pour le niveau ?
Quand tu regardes le pot 2, on avait plus ou moins le choix entre Espagne et Angleterre. Et quand tu regardes le niveau en Espagne… J’aurais préféré Manchester United ou même Arsenal que Valence. Je crois que ça a été prouvé ces dernières années, les équipes anglaises ont des difficultés à passer au niveau européen. Même si c’est la "plus grande ligue du monde" avec l’argent, les intérêts commerciaux et le public, je pense que le niveau en Espagne est beaucoup plus élevé qu’en Angleterre.
42 | Parce que comme ces clubs ont plus d’argent, ils ont plus facilement les joueurs qu’ils veulent et donc ils réfléchissent moins à des solutions sur le terrain ?
Je crois qu’en Espagne ils forment. En Angleterre ils ne forment pas, ils achètent. Mais ça ne veut pas dire que tu vas avoir une équipe, si tu ne mets rien en place… Parfois je me demande ce qu’ils font. Quand je regarde certains matches en Angleterre, je vois des choses tactiquement et je me dis "pfiouu, c’est quand même pas possible". Je me pose souvent des questions…
43 | C'est une question de culture, d'histoire nationale d'un football ?
C’est vrai qu’ils viennent d’une autre philosophie. Si on retourne vingt ans en arrière, il y avait l’entraînement et puis il y avait le pub. Les joueurs rentraient au pub et ils en sortaient le soir complètement bourrés. Maintenant, ça a changé avec l’arrivée d’entraîneurs et de joueurs étrangers mais quand tu descends en D2 ou en D3, c’est toujours le cas… C’est une autre philosophie de jeu, mais aussi une autre philosophie de vie que l’Espagne.
44 | Depuis votre arrivée à Gand, il y a un match où vous vous êtes dit que vous faisiez le match parfait ? Un match au-dessus des autres en termes de qualité ?
Ici à Gand, on a fait beaucoup de bons matches, mais parfait… Je crois que le dernier match de la phase classique à Anderlecht l’an dernier, c’était un de nos meilleurs. On a dominé tout le match. On leur a donné un cadeau en première mi-temps alors qu’on dominait déjà, et malgré ça on a continué à dominer, on a gagné et on aurait même pu marquer un troisième ou un quatrième but. C’était peut-être le match le plus complet. On a fait des bons matches à Bruges aussi, mais on a encaissé trop facilement donc je ne peux pas dire que c’était parfait.
45 | L’important, c’est vraiment cette sensation de maîtrise complète du match, même si on peut toujours encaisser un but ?
Je pense que le meilleur match que j’ai dirigé, c’était avec Courtrai contre Bruges. On a gagné 4-1 en les mangeant de la première à la dernière minute. Ok, ils ont été réduits à dix après quarante minutes quand De Sutter a pris un deuxième carton jaune. Ils ont reçu un cadeau de Keet pour égaliser, mais ils ne sont pas venus dans notre rectangle. On les a mangés complètement. C’est le match le plus parfait que j’ai coaché de ma vie. Ils se plaignaient de l’arbitre mais on aurait pu avoir deux penalties en plus…
Même en D2 avec Courtrai, il y en a eu pas mal. On a joué une fois contre Gand en Coupe, on a gagné 5-1. C’était un match incroyable, on aurait dû marquer dix fois alors que Gand était troisième de D1.
La saison passée, on a aussi fait un match incroyable contre Genk à domicile, on s’est créé trente occasions… Mais on n’a pas marqué, c’est resté 0-0. Donc on ne peut pas dire que c’est un match complet. Pour avoir le meilleur match possible, il faut marquer des buts.
46 | Vous voyez encore des points à améliorer cette saison ?
On est en train de faire une session sur la communication avec l’aide d’un bureau externe, et j’ai montré à mes joueurs le premier but qu’on a pris contre Malines, où il n’y a aucune communication. Ils sont à trois contre six, et si quelqu’un parle on ne prend jamais ce but.
47 | Dans les autres équipes, ça parle beaucoup plus sur le terrain ?
Je suis allé voir Coxyde – Eupen en D2, parce qu’on doit jouer Eupen en Coupe. Ce qui m’a étonné, c’est que les deux équipes parlaient plus sur le terrain que nous, le champion de Belgique. Même en première provinciale, il y a des équipes où les joueurs parlent plus que chez nous, c’est incroyable. Et si tu vois qu’avec cette faiblesse, on joue encore le titre, c’est insensé.
48 | Comment vous expliquez ce manque de communication chez vos joueurs ?
Ils n’ont pas ça en eux. Certains l’ont, mais ils n’ont pas le volume suffisant. Ils parlent, mais ça ne s’entend pas dix mètres plus loin. Du coup, on est en train de travailler avec des coaches de la voix pour renforcer leur volume sonore.
J’ai dit à mes joueurs que s’il y a un problème dans ce groupe, c’est la communication. Et la communication, c’est 50% du jeu. Parce qu’il y a des gars qui voient le jeu, et qui peuvent indiquer où la balle doit aller. Si la balle vient de gauche, un milieu la reçoit et quelqu’un derrière lui dit "change le jeu", il ne doit même plus regarder, il contrôle et il change le jeu. C’est une aide énorme.
49 | À ce point-là ?
En progressant dans la communication, cette équipe peut encore s’améliorer. Et pas seulement de 5 ou de 10%. Je pense que c’est 20-30% de plus. Si tout le monde commence à parler, ça nous apporterait tellement qu’on pourrait se mêler à nouveau à la lutte pour le titre.
Mais c’est étonnant, je voyais un gars de Coxyde qui se fâchait sur un autre gars, il lui hurlait "mais je te l’ai déjà dit deux fois, il faut faire ce que je te dis". Je n’ai jamais vu ça chez moi. À Eupen, il y a des Espagnols qui n’arrêtent pas de parler. Ici, jamais.
50 | Ce sont vraiment des coaches vocaux, comme pour les chanteurs donc ?
Ce matin, on a fait une session de deux heures avec les coaches externes et puis on a fait un petit match où on a demandé aux blessés de coacher et de corriger les joueurs qui ne parlent pas. Tout le monde parlait, mais ici on est entre trois autoroutes, il y a beaucoup de bruit : on n’entendait personne. Ils parlent, c’est vrai, mais on ne les entend pas. Donc on est en train d’entraîner la force de la voix avec des exercices vocaux, comme les chanteurs.
Ça doit devenir un automatisme, pour ne pas devoir y réfléchir parce que sur le terrain c’est beaucoup plus difficile, tu es en train de courir, de changer de direction… Mais si tu es dans une position de spectateur, d’organisateur, à ce moment-là on doit t’entendre. On espère que ces entraînements apportent quelque chose. On cherche toujours à s'améliorer.
Entretien réalisé par Jacques Besnard et Guillaume Gautier